Chapitre 49

 

Le parfum des fleurs flatta les narines des trois compagnons dès qu’ils furent dans le Jardin. Zedd sut immédiatement que quelque chose n’allait pas. Aucun doute : toutes les boîtes étaient présentes ici ! Rahl les détenait et ça changeait tout ! Le sorcier sentit une autre bizarrerie. Avec ses pouvoirs amoindris, il ne put rien tirer de cette intuition. Chase à ses côtés, il suivit Kahlan comme son ombre tandis qu’elle serpentait entre les arbres, longeant des murs couverts de lierre et des parterres de fleurs.

Quand le sentier déboucha sur une grande pelouse, l’Inquisitrice s’arrêta.

Au milieu se découpait un cercle de sable blanc. Du sable de sorcier ! Dans sa longue vie, Zedd n’en avait jamais vu autant à la fois. À vrai dire, en trouver assez pour remplir une bourse était déjà un miracle. En telle quantité, ce sable valait largement dix royaumes ! Sur l’étendue blanche se reflétaient de minuscules lucioles de lumière prismatique. Étrangement excité, Zedd se demanda pourquoi Rahl avait besoin de tant de sable. Et que faisait-il avec ce trésor dont le vieil homme avait un mal fou à détourner les yeux ?

Au-delà du cercle blanc se dressait un autel sacrificiel. Les trois boîtes d’Orden reposaient dessus, débarrassées de leur camouflage. Plus noires que la nuits, elles étaient reconnaissables entre toutes, même si Zedd aurait préféré ne pas en croire ses yeux.

Devant l’autel, leur tournant le dos, Darken Rahl attendait. Le sang du vieux sorcier bouillit quand il vit l’assassin de Richard. La lumière qui jaillissait à flots des fenêtres faisait briller la robe blanche et les cheveux blonds de ce monstre. Il contemplait les boîtes, ses fabuleux trophées…

Comment s’était-il procuré la troisième ? se demanda Zedd, fou de rage. Il oublia aussitôt ce détail, devenu sans importance. Que faire ? Voilà la seule question qui avait encore un sens…

En possession des trois boîtes, Rahl pourrait en ouvrir une. Alors…

Sous le regard du sorcier, Kahlan approcha de Rahl. Qu’elle le touche avec son pouvoir et ils seraient tous sauvés ! Mais elle n’était sûrement pas assez puissante pour ça… Dans ce palais, surtout au cœur du Jardin, Zedd sentait son propre pouvoir quasiment neutralisé. L’édifice entier était un sort qui désarmait tous les sorciers, à l’exception de Rahl. Avec la Rage du Sang, Kahlan gardait néanmoins une petite chance. La seule, et la dernière…

L’Inquisitrice avait presque traversé la pelouse. À quelques pas de Rahl, elle se retourna et posa une main sur la poitrine de Zedd.

— Attendez ici tous les deux…

Le vieux sorcier lut dans ses yeux une colère qu’il partageait, car lui aussi souffrait de la disparition de Richard.

Quand Kahlan s’écarta un peu, il leva la tête et croisa le regard bleu intense de son pire ennemi, ils se défièrent un moment en silence, puis celui de Rahl se posa sur Kahlan, qui finissait de contourner le cercle de sable.

— Que ferons-nous si ça ne marche pas ? souffla Chase.

— Nous mourrons… répondit Zedd.

Son pessimisme l’abandonna un peu quand il vit l’air inquiet de Rahl. De la peur passa même dans son regard lorsqu’il remarqua les éclairs rouges peints sur le visage de la jeune femme. Il ne s’attendait pas à ça, et semblait de plus en plus terrorisé.

Il agit quand même. Kahlan presque en face de lui, il dégaina L’Épée de Vérité, qui émit un curieux sifflement, sa lame aussi blanche que le sable. La pointe de l’arme à un pouce de la poitrine, la jeune femme s’immobilisa.

Plus personne n’arrêterait ce duel. Mais Zedd devait aider Kahlan à mobiliser la seule force qui pouvait encore les sauver. Puisant dans des réserves d’énergie qu’il aurait souhaitées plus vivaces, il expédia un rayon bleu à travers le cercle de sable. Vidé d’un coup de toute sa puissance, il regarda l’éclair magique percuter l’épée et l’arracher des mains de Rahl. L’arme vola dans les airs et atterrit à bonne distance des deux adversaires.

Rahl cria quelque chose à Zedd, puis débita à l’Inquisitrice un discours incompréhensible.

Quand Kahlan avança, il recula, vite coincé par l’autel. Alors, il se passa une main dans les cheveux…

Le sourire triomphant de Zedd s’évanouit. Ce réflexe étrange lui disait quelque chose…

La Mère Inquisitrice saisit son adversaire à la gorge.

— Pour Richard, lâcha-t-elle.

Le sang glacé dans ses veines, Zedd comprit enfin ce qu’était la « bizarrerie ». Un cri s’échappa de sa gorge. Ce n’était pas Darken Rahl.

— Kahlan, arrête ! Arrête ! C’est…

L’air vibra comme sous l’effet d’un coup de tonnerre silencieux. Toutes les feuilles des arbres tremblèrent et l’herbe fut balayée par un vent invisible.

— …Richard !

Zedd avait tout compris en une fraction de seconde. Trop tard !

— Maîtresse… gémit « Rahl » en tombant à genoux.

Pétrifié, le vieux sorcier sentit le désespoir l’envahir, chassant le soulagement de savoir Richard vivant.

Dans un mur, une porte dissimulée par du lierre s’ouvrit pour laisser passer le véritable Darken Rahl, suivi par Michael et deux gardes.

Désorientée, Kahlan battit des paupières.

Puis la Toile d’Ennemi se dissipa. Dans une lumière tremblotante, le faux Darken Rahl reprit les traits de Richard Cypher.

Kahlan recula, horrifiée. En elle, le pouvoir du Kun Dar vacilla puis mourut. Elle hurla d’angoisse quand elle mesura l’étendue de son erreur.

Voyant les deux colosses se placer derrière elle, Chase voulut saisir son épée, mais il se pétrifia avant d’avoir atteint la garde. Zedd leva les mains. Rien ne se produisit, car il ne lui restait pas une once de pouvoir. Il courut vers ses deux amis. Un mur invisible l’arrêta avant qu’il n’ait fait deux pas.

Il était pris au piège, tel un condamné dans une cellule. Comment avait-il pu être aussi stupide ! pensa-il, fou de rage.

Kahlan se tourna vers un garde et lui subtilisa le couteau qu’il portait à la ceinture. Le retournant contre elle, elle visa son cœur.

Michael la ceintura, lui arracha l’arme et la lui plaqua sur la gorge. Richard bondit comme une furie et… percuta un mur invisible qui le renvoya en arrière. Épuisée par le Kun Dar, Kahlan n’avait plus la force de lutter. Quand elle éclata en sanglots, un garde lui noua un bâillon sur la bouche, l’empêchant même de murmurer le nom de Richard.

Toujours à genoux, le jeune homme rampa jusqu’à Rahl et s’accrocha à ses robes.

— Ne lui faites pas de mal ! Par pitié, ne lui faites pas de mal !

Rahl posa une main sur l’épaule du Sourcier vaincu.

— Ravi que tu sois revenu, Richard. J’aurais parié que tu le ferais… Savoir que tu m’aideras me réjouit. Et j’admire ta loyauté envers tes amis.

Zedd crut que ses oreilles lui jouaient des tours. En quoi Rahl pouvait-il avoir besoin de Richard ?

— Par pitié, ne lui faites pas de mal…

— Mon garçon, ça dépend de toi ! cracha Rahl en se dégageant.

— Je ferai n’importe quoi ! Mais laissez-la !

Avec un sourire triomphal, Rahl s’humecta le bout des doigts puis passa l’autre main dans les cheveux du jeune homme.

— Désolé que ça doive se finir ainsi, Richard… Crois-moi, je suis sincère. T’avoir à mes côtés, tel que tu étais avant, m’aurait beaucoup plu. Même si tu l’ignores, nous nous ressemblons beaucoup. Mais tu es une victime de plus de la Première Leçon du Sorcier.

— Ne frappez pas maîtresse Kahlan, je vous en supplie !

— Si tu m’obéis, je tiendrai ma promesse, et elle sera très bien traitée. Je pourrais peut-être même te transformer en quelque chose que tu aimeras… Son animal de compagnie, par exemple. Un petit chien ? Tu dormirais dans sa chambre, histoire de voir que je tiens toujours parole. Et pour te récompenser, je donnerai ton prénom à mon fils. Richard Rahl ! Tu aimerais ça ? Une douce ironie, non ?

— Infligez-moi ce que vous voulez, mais épargnez maîtresse Kahlan, Dites-moi ce que je dois faire, par pitié !

— Un peu de patience, fiston, fit Rahl en tapotant la tête de Richard. C’est pour bientôt. Attends-moi ici…

Il s’éloigna et contourna le sable pour venir se camper devant Zedd, ses yeux bleus cherchant son regard.

— Quel est ton nom, le Vieux ?

— Zeddicus Zu’1 Zorander. (Bien qu’il ne se fut jamais senti aussi vide, Zedd releva le menton et ajouta :) L’homme qui a tué ton père !

— Oui… Sais-tu que ton feu magique m’a aussi touché ? Qu’il m’a presque tué alors que je n’étais qu’un gosse ? Des mois de douleur ont suivi ! Et je porte toujours les cicatrices de ton attaque, sur mon corps et dans mon âme !

— Je regrette d’avoir blessé un enfant, même si c’était toi. Appelons ça une « punition préventive », si tu veux bien…

Rahl eut l’ombre d’un sourire.

— Nous passerons un long moment ensemble, toi et moi. Tu découvriras à quel point j’ai souffert, puis tu iras bien au-delà. Histoire d’apprendre ce que ça fait.

— Rien ne dépassera la douleur que tu m’as déjà infligée, souffla Zedd.

— Nous verrons… lâcha Rahl en s’humectant le bout des doigts.

Il se détourna du sorcier et alla se camper devant Richard.

— Mon garçon ! cria Zedd. Ne l’aide pas ! Kahlan préférerait mourir que te savoir de son côté !

Richard regarda le vieil homme comme si ses yeux le traversaient, puis leva la tête vers Rahl.

— Si vous l’épargnez, je ferai tout ce que vous voudrez.

Darken Rahl lui ordonna de se relever.

— Obéis, et je te jure qu’il ne lui arrivera rien. À présent, récite le Grimoire des Ombres Recensées.

Zedd en sursauta de surprise.

— Que dois-je faire, maîtresse ? demanda Richard en se tournant vers Kahlan.

L’Inquisitrice se débattit entre les bras de Michael et cria des mots incompréhensibles sous son bâillon.

— Récite le grimoire, Richard, dit Rahl d’une voix très douce. Sinon j’ordonnerai à Michael de lui couper les doigts l’un après l’autre. Plus tu te tairas et moins il lui en restera.

Paniqué, Richard se retourna vers le maître.

— La véracité des phrases du Grimoire des Ombres Recensées, quand elles sont prononcées par une autre personne que le détenteur des boîtes d’Orden – et non lues par celui-ci – exige le recours à une Inquisitrice…

Zedd tomba à genoux, refusant d’en croire ses oreilles. Mais à entendre Richard, plus aucun doute ne lui était permis, car il reconnaissait le style caractéristique d’un grimoire. Impossible de tricher. C’était bien le texte ! Et le vieil homme était trop vidé pour se demander pourquoi Richard l’avait appris par cœur.

Le monde qu’ils avaient connu touchait à sa fin. Aujourd’hui commencerait le règne de Darken Rahl. Tout était perdu ! L’univers entier appartiendrait à un monstre.

Zedd continua d’écouter, abattu. Certains mots eux-mêmes étaient magiques et seul un individu né avec le don avait pu mémoriser le texte. Sinon, ces mots clés auraient tout effacé du cerveau de Richard. Une protection judicieuse pour empêcher que quelqu’un s’approprie par hasard des connaissances capitales. Entendre Richard réciter le grimoire prouvait qu’il était né de et pour la magie ! Aussi violemment qu’il la détestât, il était fait pour elle, comme l’annonçaient les prophéties.

Zedd se fustigea d’avoir commis tant d’erreurs. Comment avait-il pu être idiot au point de vouloir protéger Richard de forces qui l’auraient utilisé à bon escient si elles avaient su le reconnaître ? Comme le démontrait Darken Rahl, ceux qui naissaient avec le don étaient vulnérables pendant leur enfance. Le vieil homme avait choisi de ne pas former Richard pour le garder hors de portée de ces forces. Dès le début, il avait craint – et espéré – que le petit ait le don. Mais s’il grandissait assez avant que cela se manifeste, s’était-il dit, lui prodiguer l’enseignement requis serait moins dangereux. Un être plus mûr et plus fort supporterait mieux le choc – à condition d’intervenir avant que son don le tue !

Un effort inutile ! Pire, une absurdité aux conséquences catastrophiques ! Et Zedd, au fond, avait toujours su que Richard possédait le don. Tous ceux qui le connaissaient voyaient en lui un être hors du commun. Quelqu’un de rare.

La marque même de la magie…

Des larmes aux yeux, le vieil homme se souvint des jours heureux passés auprès de Richard. De très bonnes années, sûrement les meilleures de sa vie. Loin de la magie, avec quelqu’un à aimer sans angoisse ni arrière-pensées. La possibilité d’être l’ami du jeune homme, et rien de plus…

Richard récitait le grimoire sans hésiter ni achopper sur une syllabe. Émerveillé par cet exploit, Zedd éprouva une bouffée de fierté, puis regretta aussitôt que le garçon soit aussi doué. La plus grande partie du texte qu’il restituait concernait des opérations déjà réalisées – comme l’élimination du camouflage –, mais Darken Rahl ne lui demanda pas de sauter ces sections, ni d’accélérer le rythme, car il avait visiblement peur de rater un détail important. Laissant Richard déclamer, il écoutait attentivement. De temps en temps, il se faisait répéter certains passages, pour être sûr d’avoir bien compris. Pensif, il plissait le front tandis que le jeune homme parlait d’angle solaire, de configuration des nuages ou de force des vents.

L’après-midi passa ainsi. Richard récitait, Rahl tendait l’oreille et Michael gardait son couteau sur la gorge de Kahlan. Les deux gardes tenaient infatigablement les bras de l’Inquisitrice. Pétrifié, Chase avait toujours la main à mi-chemin de son épée, et Zedd restait assis sur le sol, coincé dans sa cellule invisible… Le sorcier s’était aperçu que le protocole d’ouverture des boîtes prendrait beaucoup plus longtemps qu’il ne l’aurait cru. Toute la nuit sans doute… Il faudrait dessiner beaucoup de sortilèges. Voilà pourquoi Rahl avait besoin d’une telle quantité de sable ! Les boîtes devaient être disposées d’une façon précise afin que le soleil d’hiver les touche selon un angle prédéterminé. Les ombres qu’elles projetteraient définiraient alors la façon de les placer.

Bien qu’elles fussent identiques, les boîtes avaient toutes des ombres différentes. Alors que l’astre du jour descendait à l’horizon, la première projetait un seul petit rectangle noir. La deuxième en diffusait deux, et la troisième trois ! À présent, Zedd comprenait pourquoi le livre était intitulé Grimoire des Ombres Recensées…

Quand Richard atteignait un passage « technique », Darken Rahl lui demandait d’arrêter et dessinait des figures complexes dans le sable. Certains sorts portaient des noms que le vieux sorcier lui-même n’avait jamais entendus. Mais Rahl ne semblait pas désorienté et il travaillait d’une main sûre. Quand il fit trop sombre, il alluma des torches tout autour du cercle. À leur lumière, il continua à dessiner les sortilèges à mesure que Richard les nommait. En silence, tous les témoins le regardaient faire, fascinés par son habileté. Impressionné aussi, Zedd frissonna en reconnaissant parfois des runes du royaume des morts.

Ces figures géométriques, le sorcier le savait, ne toléraient pas la moindre erreur. Il fallait tracer chaque ligne dans l’ordre requis, au bon moment et selon une séquence très stricte. En cas d’imprécision, impossible de corriger ou d’effacer pour tout recommencer. Le plus petit défaut était mortel !

Certains sorciers étudiaient un sort des années durant avant d’oser le dessiner dans le sable. Darken Rahl ne semblait pas avoir le moindre doute sur ses talents. Sa main ne tremblait pas. Et au vu de la difficulté, il progressait à une vitesse surprenante. Le confrère le plus doué que Zedd eût jamais vu ! Au moins, pensa-t-il, amer, ils seraient exécutés par un champion ! Malgré les circonstances, un tel degré de maîtrise forçait l’admiration. Avoir vu ça avant de mourir en valait presque la peine…

Ce rituel complexe visait à déterminer quelle boîte serait la bonne pour Rahl. Selon le grimoire, il pouvait en ouvrir une à n’importe quel moment – à ses risques et périls ! Habitué aux grimoires, Zedd savait que ces complications visaient à interdire un exercice trop facile de la magie. Pas question qu’il suffise, pour devenir le maître du monde, d’ouvrir un livre et de suivre un mode d’emploi ! À sa connaissance, le vieux sorcier lui-même n’avait pas les compétences exigées pour simplement suivre les instructions. En vue de cette journée, Darken Rahl avait étudié pendant sa vie entière. Son père, selon toute probabilité, avait commencé sa formation dès sa plus tendre enfance…

Zedd regretta que le feu magique n’ait pas tué le fils en même temps que son géniteur. Après une courte réflexion, il décida que ce n’était pas une pensée digne de lui.

À l’aube, tous les sortilèges dessinés, Rahl disposa les boîtes sur le sable. Identifiée par le nombre d’ombres qu’elle projetait, chacune fut placée sur un diagramme précis. Alors, le maître de cérémonie psalmodia les incantations idoines.

Quand les premiers rayons de soleil du deuxième jour de l’hiver frappèrent l’autel, Rahl remit les boîtes dessus. À présent, constata Zedd, étonné, elles diffusaient toujours une, deux ou trois ombres, mais dans un ordre différent. Une autre précaution ! Comme l’indiquait le grimoire, celle qui n’en projetait qu’une fut placée à gauche, près de celle qui en diffusait deux, elle-même flanquée par celle que trois rectangles noirs entouraient.

— Continue, Richard, dit Rahl, le regard rivé sur les artefacts.

— Une fois dans cette configuration, la magie d’Orden est prête à être commandée. Alors qu’une seule ombre ne suffit pas à obtenir le pouvoir nécessaire à maintenir en vie celui qui les a mises dans le jeu, trois sont une charge trop écrasante pour que toute vie puisse la supporter. Ainsi, l’équilibre est atteint en ouvrant la boîte aux deux ombres : une pour le maître, et l’autre pour le monde qu’il dominera grâce au pouvoir d’Orden. Un monde et un chef – c ‘est cela le secret de la boîte aux ombres doubles. Ouvre-la et tu obtiendras ta récompense.

— Continue, souffla Rahl en se tournant lentement vers Richard.

— Règne comme tu l’as choisi. Ce sont les derniers mots…

— Impossible !

— Maître Rahl, je vous jure qu’il n’y a rien d’autre. Règne comme tu l’as choisi. C’est l’ultime phrase.

— Tu as appris tout le grimoire ? rugit Darken Rahl en prenant le jeune homme à la gorge.

— Oui, maître…

— Ce n’est pas la bonne réponse ! explosa Rahl. La boîte aux deux ombres me tuera ! Je t’ai dit que cette information était en ma possession !

— J’ai tout répété sans modifier un mot, maître…

— Je ne te crois pas ! (Rahl lâcha Richard.) Michael, égorge cette femme !

— Pitié ! cria Richard en tombant à genoux. Vous m’avez donné votre parole. Si je vous aidais, ma maîtresse serait épargnée ! Et je vous ai dit la vérité !

Rahl retint d’un geste la main de Michael.

— Je ne te crois pas ! Si tu ne cesses pas de mentir, j’ouvrirai les entrailles de ta maîtresse.

— Non ! implora Richard. La vérité, vous la connaissez déjà ! Changer maintenant serait un mensonge.

— C’est ta dernière chance, Richard : parle, ou elle mourra.

— Je ne peux rien vous dire d’autre ! sanglota le jeune homme. Sinon, ce serait un mensonge ! Chaque mot était la vérité !

Zedd se leva et regarda Kahlan. Puis il se tourna vers Rahl. À l’évidence, le « maître » tenait une part de ses informations d’une autre source que le grimoire. Et toutes ces données étaient à présent contradictoires ! Cela se produisait souvent. Un sorcier du calibre de Rahl ne pouvait pas l’ignorer. En cas de conflit, les instructions du grimoire spécifique avaient la préséance. Agir autrement revenait à signer son arrêt de mort – une protection supplémentaire pour assurer l’intégrité de la magie. Si l’arrogance de Rahl le poussait à se défier du grimoire, tout n’était peut-être pas perdu…

Rahl s’humecta les doigts, les passa sur ses sourcils et eut un sourire triomphant.

— Parfait, Richard… Je voulais m’assurer que tu ne me mentais pas…

— Je jure d’avoir dit la vérité, sur la tête de maîtresse Kahlan. Chaque mot que j’ai prononcé était authentique…

Rahl fit signe à Michael d’éloigner la lame du cou de Kahlan, qui ferma les yeux, des larmes ruisselant sur les joues.

— Enfin… murmura le maître, la magie d’Orden est à moi…

Sans le voir, Zedd devina que son ennemi soulevait le couvercle de la boîte du milieu. Il en fut sûr quand une merveilleuse lumière dorée en sortit, s’éleva lentement comme si elle pesait très lourd, et auréola la silhouette de Rahl.

Il se retourna, extatique, la lueur accompagnant chacun de ses mouvements. Alors, il s’éleva un peu dans les airs – assez pour que ses pieds ne touchent plus le sol – et flotta jusqu’au centre du cercle de sable, les bras en croix. Au moment où il fit face à Richard, la lumière commença à tourner doucement autour de lui.

— Merci, mon fils, d’être revenu aider le Petit Père Rahl. Comme promis, tu seras récompensé de m’avoir remis ce qui m’appartenait de toute éternité. Je sens le pouvoir, et c’est… merveilleux !

Impassible, Richard se releva et contempla le maître de la magie d’Orden. Les jambes de Zedd se dérobèrent de nouveau. Qu’avait fait son protégé ? Comment avait-il pu livrer à Darken Rahl la magie suprême ? Et lui permettre ainsi de régner sur le monde ? La réponse était simple : touché par le pouvoir d’une Inquisitrice, Richard Cypher n’avait pas eu le choix. Il était innocent ! Zedd lui pardonna, conscient que tout était fini…

En pleine possession de son pouvoir, il eût invoqué un Feu de Vie pour en terminer sur-le-champ avec sa misérable existence. Mais en ces lieux, et en présence de Darken Rahl, il n’était plus qu’un très vieil homme fatigué et impuissant. Par bonheur, son calvaire serait bientôt terminé, Rahl s’en assurerait.

Ce n’était pas sur son sort qu’il pleurait. Mais sur celui qui guettait tous les autres…

Baigné de lumière dorée, Rahl s’éleva davantage au- dessus du cercle de sable. Il souriait et ses yeux bleus pétillaient comme jamais. Renversant la tête d’extase, il baissa les paupières. Ses cheveux cascadant sur ses épaules, des particules de lumière orbitaient toujours autour de lui.

Le sable devint jaune or, continua à s’assombrir et passa à un marron brûlé. Autour de Rahl, la lumière aussi vira à l’ambre. Le maître du monde, son sourire effacé, releva la tête et ouvrit les yeux.

Le sable blanc devint noir et le sol trembla.

Richard alla ramasser L’Épée de Vérité. Aussitôt la colère de l’arme fit briller son regard gris.

Zedd se leva d’un bond. Autour de Rahl, la lumière était à présent d’un marron brunâtre. Il écarquilla les yeux de terreur.

Un rugissement de fin du monde monta du sol. Sous les pieds de Rahl, le sable s’ouvrit et un maelstrom d’éclairs violets l’enveloppa.

Il se débattit en hurlant !

Le souffle heurté, comme transfiguré, Richard ne quittait pas des yeux son ennemi.

Autour de Zedd, la prison invisible explosa. La main de Chase continua sa course vers l’épée et la dégaina tandis qu’il bondissait vers Kahlan. Les deux gardes la lâchèrent et se campèrent face au garde-frontière.

Pâle comme la mort, Michael regarda le colosse abattre son premier adversaire. Profitant de sa distraction, Kahlan lui flanqua un coup de coude dans l’estomac et lui arracha le couteau de la main.

Le Premier Conseiller regarda autour de lui, affolé, et s’enfuit à toutes jambes sur un sentier qui serpentait entre les arbres.

Chase et le deuxième garde tombèrent sur le sol, chacun résolu à égorger l’autre. Puis un cri retentit et le garde-frontière se releva. Pas son adversaire…

Chase regarda Rahl avant de se lancer à la poursuite de Michael. Du coin de l’œil Zedd vit Kahlan se précipiter dans une autre direction.

Comme Richard, le vieil homme ne pouvait détourner le regard de Darken Rahl, pris au piège dans l’étau de la magie d’Orden. Les éclairs violets et des ombres noires le crucifiaient à l’aplomb du trou béant.

— Richard ! cria-t-il. Qu’as-tu fait ?

Le Sourcier approcha du cercle de sable noir.

— Ce que vous me demandiez, maître Rahl, fit-il, innocent comme l’agneau qui vient de naître. J’ai dit ce que vous aviez envie d’entendre, rien de plus…

— Mais c’était la vérité ! Tous les mots, as-tu juré !

— C’était exact, à une omission près… Le paragraphe, à la fin… « Mais prends garde ! L’effet des boîtes n’est pas statique. Il se déplace en fonction de l’intention. Pour être le Maître de Tout et pouvoir aider les autres, décale d’une boîte sur la droite. Pour être le Maître de Tout afin que tous t’obéissent, décale d’une boîte sur la gauche. Règne comme tu l’as choisi. » Darken Rahl, tu avais raison : la boîte aux deux ombres était celle qui signe ton arrêt de mort !

— Mais tu devais m’obéir ! Une Inquisitrice t’a touché avec son pouvoir !

— Tu crois ? La Première Leçon du Sorcier ! Placée en tête de liste parce que c’est la plus importante. Tu aurais dû t’en méfier davantage, « maître » ! Voilà le prix de l’arrogance. J’ai accepté ma vulnérabilité, pas toi ? Je n’aimais pas les choix que tu me laissais. Dans l’impossibilité déjouer selon tes règles, j’en ai inventé d’autres. Le grimoire disait que tu devais contrôler sa véracité par le biais d’une Inquisitrice. Et tu as pensé l’avoir fait ! La Première Leçon du Sorcier ! Tu t’en es persuadé parce que tu voulais le croire ! Je t’ai battu, Darken Rahl !

— Impossible ! Comment as-tu fait ça ?

— C’est toi qui m’as donné la clé. En m’enseignant que rien, même la magie, n’a qu’une seule face. « Regarde le tout, disais-tu. Rien n’est unidimensionnel. Regarde le tout ! » (Richard secoua lentement la tête.) Tu n’aurais pas dû m’apprendre une vérité qui risquait de te nuire. Cette connaissance acquise grâce à toi, je pouvais l’utiliser à mon gré. Merci, Petit Père Rahl de m’avoir inculqué la chose la plus importante que j’aurai jamais apprise : comment aimer Kahlan !

Défiguré par la douleur, Rahl éclata d’un rire horrible qui était aussi un hurlement de souffrance.

— Où est Kahlan ? demanda Richard en regardant autour de lui.

— Je l’ai vue partir par là… répondit Zedd en tendant un index décharné.

Richard rengaina son épée et se tourna vers la silhouette prisonnière de la lumière et de l’obscurité.

— Adieu, Petit Père Rahl. Je crois que tu mourras loin de mon regard…

— Richard ! cria Rahl alors que le Sourcier s’éloignait. Richard !

Zedd resta seul avec le maître déchu. Les yeux ronds, il vit des doigts de fumée transparents s’enrouler autour de la robe blanche et plaquer les bras de Rahl contre son flanc.

Quand le vieux sorcier approcha, des yeux bleus se braquèrent sur lui.

— Zeddicus Zu’l Zorander, tu as gagné cette bataille, mais peut-être pas la guerre.

— Arrogant jusqu’au bout ?

— Dis-moi qui il est, souffla Rahl en souriant malgré la douleur.

— Qui, le Sourcier ?

Malgré son calvaire, Rahl éclata de rire. Les entrailles déchirées, il secoua violemment la tête, puis son regard se reposa sur Zedd.

— C’est ton fils, n’est-ce pas ? Au moins, j’aurai été vaincu par du sang de sorcier ! Car tu es son père.

— Non. Son grand-père…

— Mensonge ! Si ce n’est pas toi, pourquoi avoir placé une Toile sur lui pour dissimuler l’identité de son géniteur ?

— Je l’ai fait pour qu’il ne sache pas quel fils de pute aux yeux bleus a violé sa mère, lui donnant ainsi la vie !

— Mais… Ta fille a été tuée. Mon père me l’a dit…

— Un petit truc, pour garantir sa sécurité. (L’expression de Zedd se durcit.) Tu ne savais pas qui elle était, mais ça ne t’a pas empêché de la faire souffrir. Sans le savoir, tu lui as aussi offert le bonheur. En lui donnant Richard !

— Je suis son père ? gémit Rahl.

— Quand tu as violé ma fille, sachant que je ne pouvais rien contre toi, ma priorité fut de la réconforter et de la protéger. Alors, je l’ai amenée en Terre d’Ouest. Elle a rencontré un jeune veuf qui avait un fils en bas âge. George Cypher était un homme doux et bon. Je fus très fier qu’il devienne mon gendre. George aimait Richard comme s’il avait été de lui, mais il connaissait la vérité. Sauf à mon sujet, car je l’avais dissimulée avec une Toile.

» J’aurais pu haïr Richard à cause des crimes de son père. Mais j’ai choisi de l’aimer pour ce qu’il était. C’est devenu un sacré type, tu ne trouves pas ? Tu as été vaincu par l’héritier dont tu rêvais. Un fils né avec le don ! C’est très rare, tu le sais… Richard est le véritable Sourcier. De la lignée Rahl, il a hérité la rage, la colère et l’aptitude à la violence. Mais le sang des Zorander lui donne la capacité d’aimer, de comprendre et de pardonner.

Les contours de Darken Rahl se troublèrent dans les ombres de la magie d’Orden, Son corps entier devenait peu à peu transparent…

— Dire que les lignées Rahl et Zorander sont réunies dans un seul être ! Richard est bien mon héritier… Alors, en un sens, j’ai gagné.

— Non ! Tu as perdu, et dans tous les sens du mot.

De la vapeur, de la fumée, des ombres et de la lumière tourbillonnaient en rugissant. Le sol trembla de nouveau et le sable de sorcier, à présent noir comme de la poix, fut aspiré dans le vortex. L’ensemble tourna au-dessus de l’abîme, les sons du monde des vivants se mêlant à ceux du royaume des morts pour former un seul et unique hurlement.

La voix de Darken Rahl retentit une dernière fois, vide, froide et atone comme si elle montait déjà d’outre-tombe.

— Lis les prophéties, vieil homme. Tout ça n’est peut-être pas encore fini. Je suis un agent…

Un point lumineux aveuglant apparut au centre de la masse tourbillonnante. Zedd leva une main pour se protéger les yeux. Des rayons d’une chaude lumière blanche volèrent vers la voûte, traversèrent les fenêtres et filèrent vers le ciel. D’autres s’enfoncèrent dans l’abysse infiniment obscur. Alors qu’un cri perçant retentissait, l’air se brouilla sous l’effet de la chaleur, de la lumière et du bruit. Puis tout s’illumina en blanc et le silence revint.

Zedd écarta lentement sa main de ses yeux. Il ne restait plus rien. Tout avait disparu. Les rayons du soleil réchauffaient le sol à l’endroit où s’ouvrait, quelques instants plus tôt, le trou noir insondable. Le sable de sorcier s’était volatilisé, remplacé par un cercle de terre nue. La blessure entre les mondes guérissait. En tout cas, Zedd l’espérait…

Le vieil homme sentit le pouvoir revenir dans ses os fatigués. Ceux qui avaient dessiné le sortilège qui agissait contre lui n’étaient plus là. Alors, ses effets se dissipaient…

Zedd se campa devant l’autel, écarta les bras et ferma les yeux, s’offrant au soleil.

— Que toutes les Toiles soient bannies ! Désormais, je suis celui que j’étais jadis : Zeddicus Zu’l Zorander, sorcier du Premier Ordre. Que tout le monde le sache de nouveau. Et connaisse le reste aussi…

Le peuple de D’Hara était magiquement lié à la Maison Rahl. Ce lien avait été forgé des lustres plus tôt par le camp des sorciers désireux de diriger le monde. Il enchaînait le peuple à la Maison Rahl… et la Maison de Rahl au peuple. Les Toiles retirées, cette osmose serait perceptible pour beaucoup de gens, qui sauraient alors que Richard était désormais… Maître Rahl.

Zedd devrait lui dire tôt ou tard que Darken Rahl était son père. Mais pas aujourd’hui. D’abord, il faudrait trouver les mots justes. Le vieil homme avait beaucoup de choses à confier à Richard. Heureusement, ça pouvait attendre encore un peu…

 

Richard retrouva Kahlan près du bassin d’une cour de dévotions déserte. Le bâillon pendait autour de son cou, oublié dès qu’elle l’avait retiré de sa bouche. En larmes, pliée en deux, ses cheveux cascadèrent sur ses épaules quand elle se pencha davantage vers le couteau qu’elle tenait à deux mains, la lame orientée vers sa poitrine.

Richard l’arrêta alors que la pointe entrait déjà en contact avec le tissu de sa robe.

— Ne fais pas ça… murmura-il.

— Il le faut. Parce que je t’aime ! Et je t’ai touché avec mon pouvoir… Mieux vaut mourir qu’être ta maîtresse. C’est le seul moyen de te libérer. (Elle redressa un peu le menton.) Je voudrais que tu m’embrasses et que tu me laisses seule. Je refuse que tu assistes à ça.

— Non.

— Qu’as-tu dit ? souffla Kahlan en levant les yeux.

Richard mit les poings sur ses hanches.

— « Non », voilà ce que j’ai dit. Pas question de t’embrasser avec ces peintures ridicules sur tes joues. Elles ont failli me faire mourir de peur.

— Tu ne peux rien me refuser ! fit l’Inquisitrice, incrédule. Je t’ai touché avec mon pouvoir…

Richard s’agenouilla près d’elle et défît le bâillon de son cou.

— Bien… Tu m’as ordonné de t’embrasser… (il trempa le morceau de tissu dans l’eau)… et j’ai répondu que je ne le ferais pas tant que tu aurais ces peintures sur le visage. (Il entreprit d’effacer les éclairs des joues de sa compagne.) Donc, la seule solution est de les enlever.

Kahlan se laissa faire sans protester. Quand il eut fini, il jeta le bâillon, s’accroupit en face d’elle et lui passa les bras autour de la taille.

— Richard, je t’ai touché avec ma magie. Je l’ai senti, vu et entendu. Pourquoi le pouvoir ne t’a-t-il pas emporté ?

— Parce que j’étais protégé…

— Par quoi ?

— Mon amour pour toi. J’ai compris que je t’aimais plus que la vie elle-même. Plutôt que d’être sans toi, je préférais me livrer à ton pouvoir. Rien de ce que la magie aurait pu me faire n’était pire qu’une séparation définitive. Je voulais tout abandonner pour toi, Kahlan. Alors, j’ai offert au pouvoir tout ce que je possédais. Mon amour pour toi ! Ayant mesuré à quel point je t’aimais, prêt à t’appartenir sous n’importe quelles conditions, j’ai compris que la magie ne détruirait rien en moi. Je te suis déjà dévoué corps et âme, alors, pourquoi me transformerait-elle ? Ma protection, c’était d’avoir déjà été touché par ton amour. Convaincu que tu éprouvais la même chose, je n’avais aucune crainte. Au moindre doute, la magie se serait ruée sur la faille pour me ravager. Mais je n’en avais aucun ! Mon amour pour toi est un bouclier lisse et sans craquelures. Il m’a protégé de la magie.

Kahlan le gratifia de son sourire « spécial Richard ».

— Tu n’avais vraiment aucun doute ?

Le Sourcier lui rendit son sourire.

— Eh bien, un instant, quand j’ai vu les éclairs sur ton visage, j’avoue avoir été inquiet. J’ignorais ce qu’ils signifiaient. Alors, j’ai sorti l’épée pour gagner du temps, histoire de réfléchir. Puis j’ai compris que ça n’avait pas d’importance : tu étais toujours Kahlan, je t’aimais, et le reste ne comptait pas. Je désirais que tu me touches, pour t’offrir mon amour et ma dévotion, mais j’ai dû monter une petite mise en scène au bénéfice de Darken Rahl.

— Ces symboles, murmura Kahlan, signifiaient aussi que j’étais prête à tout abandonner pour toi.

Elle enlaça Richard et l’embrassa. Agenouillés sur les carreaux, devant le bassin, ils se serrèrent l’un contre l’autre. Richard s’enivra des lèvres qu’il avait des milliers de fois rêvé de sentir sous les siennes. Il continua même quand la tête lui tourna, se fichant des regards étonnés que leur jetaient les fidèles en promenade.

Après une petite éternité de bonheur, il décida que rejoindre Zedd serait quand même judicieux. Bras dessus, bras dessous, la tête de Kahlan sur son épaule, ils retournèrent dans le Jardin de la Vie, non sans s’embrasser une nouvelle fois avant de franchir les portes.

Une main sur sa hanche osseuse, l’autre lui frottant le menton, le vieux sorcier étudiait l’autel et les autres objets rituels, Kahlan se jeta à genoux devant lui et embrassa ses mains ridées et décharnées.

— Zedd, Richard m’aime ! Il a réussi à neutraliser la magie ! Il y avait un moyen, et il l’a découvert !

— Eh bien, il en aura mis, du temps…

Kahlan se releva.

— Vous… vous saviez comment faire ?

— Mon enfant, pour qui me prends-tu ? Je suis un sorcier du Premier Ordre. Évidemment, que je savais…

— Et vous n’avez rien dit ?

— Si j’avais parlé, très chère, ça n’aurait pas marché. Ce savoir aurait été le terreau idéal où ensemencer le doute. Et l’ombre d’une ombre de défiance aurait conduit à l’échec. Pour être le grand amour d’une Inquisitrice, il faut un engagement total qui outrepasse la magie. Sans la volonté de s’abandonner à toi, en s’oubliant lui-même en toute connaissance de cause, Richard n’aurait pas réussi.

— Vous en connaissez long sur le sujet… fit Kahlan. Moi, je n’en avais jamais entendu parler. Combien de fois cela s’est-il produit ?

Zedd se frotta de plus belle le menton et leva les yeux vers les fenêtres.

— Euh… Une seule fois, avant aujourd’hui… (Il regarda ses deux jeunes compagnons.) Mais il ne faudra le dire à personne, comme je l’ai fait. Quel que soit le chagrin que ça provoque, ou la gravité des conséquences, vous devrez vous taire. Si quelqu’un sait, ça risque d’être répété, et ceux qui viendront après vous n’auront plus aucune chance. Un des paradoxes de la magie : accepter l’échec pour avoir une possibilité de réussir. C’est aussi un de ses fardeaux. Privilégier les résultats, même si ça condamne d’autres personnes à mort, pour ne pas priver d’espoir l’avenir. L’égoïsme saccage la vie, et les possibilités, de ceux qui ne sont pas encore nés.

— Je jure de me taire, dit Kahlan.

— Moi aussi, renchérit Richard. Zedd, c’est fini ? Darken Rahl… est mort ?

Zedd coula à Richard un regard qui le mit mal à l’aise. Très étonnant, dans ces circonstances…

— Oui, il est mort… (Le sorcier posa une main sur l’épaule de son petit-fils et la serra très fort.) Tu t’en es tiré comme un chef, Richard ! Mais tu as failli me faire crever de peur. Je n’ai jamais été témoin d’un numéro pareil !

— Un truc, Zedd. Rien qu’un petit truc, souffla Richard, rayonnant de fierté.

Zedd secoua vigoureusement la tête, ses cheveux blancs volant dans toutes les directions. Comme ça, il avait un peu l’air d’un vieux fou…

— Beaucoup plus que ça, mon garçon. Beaucoup plus que ça !

Entendant des bruits de pas, les trois amis se retournèrent. C’était Chase, qui tenait Michael au collet comme un vulgaire voleur. À voir les vêtements blancs souillés du Premier Conseiller, le « convaincre » de venir n’avait pas dû être facile.

Chase le poussa devant Richard.

— Je ne me laisserai pas traiter comme ça, petit frère, dit Michael, aussi hautain qu’à son habitude. Dans ton ignorance, tu as saboté des plans essentiels. Sais-tu que j’aurais aidé le monde entier en unifiant Terre d’Ouest et D’Hara ? Mais il a fallu que tu t’en mêles ! À présent, ces peuples sont condamnés à des souffrances mutiles que Darken Rahl aurait pu leur éviter. Tu es un imbécile !

Richard pensa à tout ce qu’il avait subi. Puis au calvaire de Zedd, de Kahlan et de Chase. Sans oublier tous les gens qu’il connaissait morts à cause de Rahl. Et ceux, plus nombreux encore, qu’il n’avait jamais rencontrés.

La souffrance, la cruauté, la brutalité… Les légions de tyrans qui avaient prospéré sous le règne du maître, de la princesse Violette à Rahl lui-même…

La note métallique de l’épée de Vérité déchira le silence. Michael écarquilla les yeux quand la pointe se posa sur sa gorge.

— Fais-moi le salut du vaincu, Michael…

— Plutôt mourir !

Richard écarta l’épée et chercha le regard de son frère. Luttant contre sa colère, il tenta de faire tourner la lame au blanc. En vain. Résigné, il la rengaina.

— Je suis content de voir qu’il nous reste un point commun, Michael. Tous les deux, nous sommes prêts à mourir pour nos idées. (Il se tourna vers Chase, baissa les yeux sur la hache de guerre qui pendait à sa ceinture, puis dévisagea le garde-frontière à l’expression sinistre.) Exécute-le… et remets sa tête au capitaine de sa garde personnelle. Dis-lui qu’il a été décapité sur mon ordre, pour haute trahison. Terre d’Ouest devra se choisir un nouveau Premier Conseiller.

Le poing de Chase se ferma sur les cheveux du condamné.

Michael cria, tomba à genoux et fit enfin le salut du vaincu.

— Richard, par pitié ! Je suis ton frère ! Ne le laisse pas me tuer ! Pardonne-moi ! J’avais tort ! Je t’en prie, pardonne-moi !

Richard regarda son aîné, prostré devant lui, les mains jointes pour implorer grâce. Puis il saisit l’Agiel pendu à son cou, accepta la douleur et laissa des souvenirs atroces remonter à sa conscience.

— Darken Rahl t’a dit ce qu’il comptait me faire. Tu savais ! Et tu t’en fichais parce que ça servait tes intérêts. Mon frère, je te pardonne tout ce que tu as fait contre moi.

Michael soupira de soulagement, mais le Sourcier continua :

— Hélas, je ne peux pas te pardonner ce que tu as fait aux autres. Des innocents ont perdu la vie à cause de tes machinations. Tu mourras du fait de ces crimes, pas parce que tu m’as trahi.

Michael cria et sanglota tandis que Chase le tirait vers le lieu de son exécution. Le cœur serré, Richard regarda son grand frère partir vers le destin qu’il s’était choisi.

Zedd posa une main sur le poing de Richard, toujours fermé sur l’Agiel.

— Lâche-le, mon garçon…

Les sinistres pensées du Sourcier avaient jusque-là occulté la douleur. Il se tourna vers Zedd, debout près de lui, sa main osseuse sur la sienne, et lut dans ses yeux quelque chose qu’il n’y avait jamais vu : le partage du chagrin et de la douleur… Il lâcha l’Agiel.

Le regard de Kahlan se posa sur l’atroce instrument, de nouveau pendu à son cou.

— Richard, dois-tu vraiment garder ce… cet objet ?

— Pour l’instant, oui… Je l’ai promis à quelqu’un que j’ai dû tuer. Une personne qui m’a aidé à comprendre combien je t’aime. Darken Rahl pensait que ça me briserait. Au contraire, ça m’a montré comment le vaincre. Si je me débarrasse de cet Agiel, je nierai tout ce que je suis, tout ce qui vit à l’intérieur de moi.

— Aujourd’hui, dit Kahlan en lui posant une main sur le bras, je ne comprends pas. Mais un jour, j’espère que ça changera…

Richard jeta un regard circulaire au Jardin de la Vie et repensa à la mort de Darken Rahl. Puis à celle de son père… Justice était faite ! Mais dès qu’il évoqua George Cypher, le chagrin revint. Un instant seulement, car il avait, se dit-il, rempli la mission que George lui avait confiée. Il s’était souvenu à la perfection de chaque mot du grimoire secret. Son devoir était accompli. Et son père pouvait enfin reposer en paix…

— Fichtre et foutre ! lança soudain Zedd. Dans un palais aussi grand, on doit bien pouvoir manger, non ?

Richard sourit, prit ses deux amis par les épaules et sortit avec eux du Jardin de la Vie.

Dans le réfectoire dont il se souvenait, les fidèles se restauraient comme si rien n’avait changé.

Ils s’assirent à une table libre, dans un coin, et se firent apporter du riz, des légumes, du pain noir, du fromage et des assiettes fumantes de soupe aux épices. Surpris mais souriants, les serveurs continuèrent à alimenter Zedd quand il eut tout englouti.

Richard goûta le fromage. À sa grande surprise, il le trouva infect. L’air écœuré, il jeta le morceau sur la table.

— Un problème ? demanda Zedd.

— Le plus mauvais fromage que j’aie jamais mangé !

Zedd renifla l’objet du dégoût de son protégé et le mordit.

— Mon garçon, ce fromage est délicieux !

— Parfait ! Ne te gêne pas pour le dévorer…

Zedd s’empressa d’obéir. Richard et Kahlan se régalèrent de soupe et de pain, ravis de voir leur vieil ami se goinfrer. Quand il ne put plus rien avaler, ils repartirent dans les couloirs, à la recherche de la sortie.

Lorsque la cloche sonna l’heure des dévotions, Kahlan, sourcils froncés, regarda les fidèles accourir pour s’agenouiller et psalmodier. Depuis qu’il avait modifié les paroles de l’incantation, Richard n’éprouvait plus la compulsion de se joindre aux autres. En chemin, ils passèrent devant une multitude de cours bondées de disciples. Le jeune homme se demanda s’il devait intervenir – tenter de les arrêter – mais il décida qu’il avait déjà fait l’essentiel pour les délivrer.

Ils émergèrent enfin au soleil, face aux marches géantes qui donnaient sur la cour intérieure. Ils s’immobilisèrent et Richard sursauta en découvrant la foule qui s’y était massée.

Des milliers d’hommes au garde-à-vous ! Au premier rang, en bas des marches, se tenaient les soldats de la garde personnelle de Michael, jadis appelés les Volontaires Régionaux. Au soleil, leurs cottes de mailles, leurs boucliers et leurs étendards jaunes brillaient de mille feux. Derrière eux, les soldats de l’armée de Terre d’Ouest attendaient sans broncher. Dans leur dos, cinq ou six fois plus d’hommes de D’Hara gardaient aussi la position.

Chase s’était campé devant ces troupes, les bras croisés et le regard levé sur les marches. Près de lui, la tête de Michael reposait sur une pique plantée dans le sol.

Richard ne bougea pas, ébahi par le silence. Si un homme du dernier rang, à cinq cents pas de lui, avait toussoté, il l’aurait entendu.

Zedd lui plaquant une main dans le dos, il commença à descendre. Mais à son goût, ce geste ressemblait un peu trop à une franche poussée… Kahlan lui prit un bras, le serra gentiment et se redressa de toute sa hauteur tandis qu’ils franchissaient les multiples paliers.

Chase chercha le regard du Sourcier, qui aperçut, accrochée à la jambe du colosse, la petite Rachel, sa poupée serrée dans la main droite, que Siddin lui tenait aussi. Quand il aperçut Kahlan, le petit garçon lâcha son amie et courut comme un dératé. Ravie, la jeune femme s’accroupit pour le réceptionner dans ses bras. Avant de l’enlacer, il sourit à Richard en débitant un petit discours qu’il ne comprit pas.

Kahlan l’étreignit, lui murmura quelques mots à l’oreille et le reposa, lui prenant la main.

Le capitaine de la garde personnelle de Michael avança.

— Les Volontaires Régionaux sont prêts à te jurer fidélité, Richard.

Le commandant de l’armée de Terre d’Ouest rejoignit son camarade.

— L’armée aussi, dit-il simplement.

Un officier d’haran vint se placer près des deux hommes.

— Tout comme les forces de D’Hara !

Richard les regarda, hébété. Puis il sentit la colère monter en lui.

— Personne ne jurera fidélité à personne, et encore moins à moi ! Je suis un humble guide forestier. Enfoncez-vous ça dans le crâne ! Un guide !

Il sonda cet océan de visages humains. Tous les regards étaient rivés sur lui ! Puis ses yeux se posèrent sur la tête tranchée de Michael.

— Enterrez ça avec le reste de sa dépouille ! lança-t-il aux Volontaires Régionaux. (Personne ne broncha.) C’est un ordre !

Quelques hommes quittèrent les rangs et emportèrent l’horrible trophée.

— Faites circuler la nouvelle, dit alors Richard à l’officier d’haran. Les hostilités sont terminées. Oui, la guerre est finie ! Que toutes les forces retournent dans leur pays. Je ne veux plus voir une armée d’occupation nulle part ! Et j’entends que tout homme, général ou fantassin, coupable d’exactions contre des civils innocents soit passé en jugement et puni selon la loi. Les forces de D’Hara auront mission de secourir les populations menacées par la famine à cause de leurs pillages. Le feu n’est plus proscrit. Quiconque refusera de se plier à ces ordres devra être combattu. (Richard désigna le commandant de Terre d’Ouest.) Soutenez-le avec vos hommes. Ensemble, vous serez trop forts pour qu’on passe outre. (Les deux officiers écarquillèrent les yeux. Richard se pencha un peu vers eux.) Si vous ne vous en chargez pas, ce ne sera jamais fait…

Le poing sur le cœur, les deux militaires inclinèrent la tête.

Alors, le D’Haran osa croiser le regard de Richard.

— À vos ordres, maître Rahl !

Richard en sursauta de surprise, puis pensa que c’était un lapsus. L’homme était tellement habitué à donner du « maître Rahl » à son chef…

Dans les rangs, il remarqua un soldat qu’il connaissait. C’était le capitaine de la garde qui, à son départ du palais, lui avait procuré un cheval avant de lui conseiller d’éviter le dragon. Richard lui fît signe d’approcher. Il obéit et se mit au garde-à-vous, l’air pas vraiment rassuré.

— J’ai une mission pour toi… À mon avis, elle t’ira comme un gant. Je veux que tu réunisses toutes les Mord-Sith, sans exception.

— À vos ordres ! cria le capitaine, soudain très pale. Elles seront toutes exécutées avant le coucher du soleil.

— Non ! Il n’est pas question de les tuer.

— Euh… hum… Dans ce cas, que devrai-je en faire ?

— D’abord, détruis leurs Agiels ! Jusqu’au dernier ! Je ne veux plus en voir un de ma vie. (Il souleva celui qui pendait à son cou.) À part celui-là. Ensuite, trouve de nouveaux vêtements à ces femmes et brûle toutes leurs tenues de Mord-Sith. Mais traite leurs propriétaires avec gentillesse et respect.

— Gentillesse… s’étrangla le capitaine, et… respect ?

— Exactement. Puis affecte-les à des postes où elles devront aider les gens, pour leur apprendre à faire elles aussi montre de gentillesse et de respect. Inutile de poser des questions, je n’ai pas la moindre idée sur la façon de t’y prendre. À toi d’improviser ! Mais tu m’as l’air d’un type intelligent. Je me trompe ?

— Et si elles refusent de changer ?

— Si elles s’entêtent à rester sur le même chemin, dis-leur que le Sourcier les attendra au bout avec son épée à la lame blanche.

L’homme sourit, plaqua un poing sur son cœur et s’inclina.

— Richard, souffla Zedd, les Agiels sont des objets magiques. Les détruire ne se fait pas comme ça…

— Alors, aide cet homme, Zedd ! À les détruire, à les cacher, ou à tout ce que tu voudras. D’accord ? L’essentiel, c’est que plus personne, jamais, ne souffre de leur morsure.

— Je serai ravi de remplir cette mission, mon garçon. (Le sorcier hésita, se gratta le menton du bout de l’index et ajouta, toujours à voix basse :) Tu crois que ça marchera ? Je veux dire : rappeler les armées et les faire aider par nos troupes ?

— Probablement pas… Mais sait-on jamais, avec la Première Leçon ? Au minimum, ça les occupera. Et quand tout le monde sera chez soi, tu pourras rétablir la frontière. Alors, nous en aurons fini avec la magie.

Un rugissement tomba soudain du ciel. Richard leva les yeux et vit Écarlate tourner au-dessus de leurs têtes. Quand elle piqua avec l’intention manifeste de se poser au pied des marches, les hommes reculèrent dans une belle pagaille.

Avec une précision admirable, la femelle dragon atterrit devant Richard, Kahlan, Zedd, Chase et les deux enfants.

— Richard ! Richard ! cria-t-elle en sautant d’une patte sur l’autre, excitée comme une… puce. Mon œuf a éclos ! Un splendide petit dragon, comme tu l’avais prédit. Il faut que tu viennes le voir. Un vrai costaud ! Dans un mois, je parie qu’il volera. (Écarlate sembla soudain remarquer les soldats. Méfiante, elle les balaya du regard, les yeux plissés, puis baissa la tête vers Richard.) Un problème, mon ami ? Si tu veux que je crache un peu de feu…

— Non, fit Richard, tout sourire. Pas d’ennuis en perspective…

— Alors, saute sur mon dos et en route pour le nid !

— Si Kahlan vient aussi, dit Richard en enlaçant la jeune femme. À condition qu’elle nous accompagne, je suis partant !

Écarlate étudia l’Inquisitrice de pied en cap.

— Si c’est ton amie, elle sera la bienvenue.

— Richard, intervint Kahlan, et Siddin ? Weselan et Savidlin doivent être morts d’inquiétude. (Elle se serra plus fort contre lui et souffla :) Nous avons un… travail à achever… dans la maison des esprits. Une pomme, je crois, que nous n’avions pas fini de manger.

Elle augmenta sa pression sur la hanche de Richard et s’autorisa un sourire en coin qui manqua lui couper le souffle.

Non sans peine, il détacha son regard de la jeune femme et s’adressa à Écarlate :

— Ce petit a été arraché au Peuple d’Adobe quand tu y as conduit Darken Rahl. Sa mère doit avoir hâte qu’on le lui rende, comme toi avec ton œuf. Après la visite à ton nid, tu pourrais nous amener là-bas ?

La femelle dragon étudia l’enfant.

— Ma foi, je peux comprendre que sa mère se ronge les sangs. Marché conclu ! En selle, tout le monde !

Zedd s’approcha du reptile volant, les poings sur les hanches.

— Tu acceptes de transporter un homme ? lança-t-il, incrédule. Toi, un dragon rouge ? Et tu le conduiras où il veut ?

Écarlate cracha un peu de fumée au nez du sorcier, le forçant à reculer.

— Un homme, pas question ! Mais celui-là est le Sourcier. Je suis à ses ordres. Pour lui, j’irais même faire un petit tour dans le royaume des morts !

Richard saisit une pique et sauta sur le dos d’Écarlate, qui se baissa pour lui faciliter la tâche. Kahlan lui fit passer Siddin. Il le mit sur ses genoux et aida sa compagne à monter derrière lui. Les bras autour de sa taille, mains croisées sur sa poitrine, elle posa la tête contre son omoplate et ferma les yeux.

Richard se pencha vers Zedd.

— Sois prudent, mon vieil ami ! (Il sourit au sorcier.) L’Homme Oiseau sera ravi d’apprendre que j’ai décidé d’épouser une Femme d’Adobe ! À mon retour, où te trouverai-je ?

Zedd leva un bras et tapota la cheville du Sourcier.

— En Aydindril… Rejoins-moi quand tu en auras terminé…

Richard se pencha un peu plus et gratifia le sorcier de son regard le plus sombre.

— Oui, et nous aurons une conversation… très longue !

— J’espère bien, mon garçon…

Le Sourcier sourit à Rachel, salua Chase puis tapota une écaille d’Écarlate.

— Direction le ciel, ma très rouge amie !

La femelle dragon cracha une langue de flammes et décolla, emportant sur son dos les rêves et le bonheur de Richard Cypher.

 

Zedd garda ses angoisses pour lui tandis qu’il regardait la femelle dragon s’éloigner à tire-d’aile.

Chase ébouriffa les cheveux de Rachel. Puis il croisa les bras et fronça les sourcils en se tournant vers le sorcier.

— Pour un guide forestier, il donne beaucoup d’ordres !

— Pour sûr ! approuva Zedd.

Il ne put s’étendre sur le sujet, car il avisa un petit bonhomme chauve qui dévalait les marches en agitant les bras.

— Sorcier Zorander ! Sorcier Zorander ! (Il arriva enfin devant le vieil homme et répéta :) Sorcier Zorander !

— Quoi, encore ? grommela Zedd.

— Sorcier Zorander, nous avons un gros problème.

— Quel genre ? Et d’abord, qui es-tu ?

— Le chef des serviteurs de la crypte, souffla le type sur un ton de conspirateur. C’est là qu’il y a un problème.

— Quelle crypte ?

— Celle de Panis Rahl, bien sûr ? Le grand-père de maître Rahl !

— Et quel problème, exactement ?

— Je ne l’ai pas vu de mes yeux, sorcier Zorander mais mon personnel ne ment jamais. Ce sont mes gens qui m’ont informé, et on peut leur faire confiance.

— Au fait ! explosa Zedd. Que se passe-t-il ?

— Les murs, sorcier Zorander, lâcha le petit homme d’une voix étranglée. Les murs…

— Quoi, les murs ?

— Ils fondent. Les murs de la crypte fondent !

— Fichtre et foutre ! Tu as des réserves de pierre blanche extraite de la carrière des prophètes ?

— Bien sûr !

Zedd sortit une petite bourse de sa poche.

— Scelle l’ouverture de la tombe avec ces pierres blanches…

— Fermer la crypte, sorcier Zorander ?

— Oui ! Sinon, tout le palais fondra. (Il tendit la bourse à son interlocuteur.) Mélange cette poudre magique au mortier et achève les travaux avant le coucher du soleil. Compris ? Tout doit être fini avant la nuit.

Le type prit la bourse, hocha la tête et remonta les marches aussi vite que ses jambes courtaudes le lui permettaient. Un autre homme, plus grand, les mains glissées dans les manches de ses robes blanches brodées d’or, le croisa sans lui accorder un regard et continua à descendre, la tête bien droite. Chase se tourna vers Zedd et lui tapota la poitrine du bout de l’index.

— Panis Rahl, le grand-père de maître Rahl ?

— Eh bien… hum… oui, il faudra que nous ayons une petite conversation, un de ces jours…

— Sorcier Zorander, dit l’homme en blanc en approchant, maître Rahl est-il ici ? Nous avons à discuter…

— Maître Rahl sera absent quelque temps, répondit Zedd en scrutant le ciel.

— Mais il reviendra ?

— Oui… Pas d’inquiétude, il reviendra… Jusque-là, vous devrez expédier les affaires courantes…

— Ici, nous avons l’habitude d’attendre le retour du maître, dit l’homme en se détournant.

Mais Zedd le rappela.

— J’ai faim ! On peut se remplir l’estomac quelque part, chez vous ?

L’homme sourit et désigna l’entrée du palais.

— Bien sûr, sorcier Zorander. Si je peux vous conduire à une salle à manger…

— Chase ? On casse une croûte ensemble avant que je me mette en chemin ?

— Tu as faim ? demanda le garde-frontière à Rachel, qui hocha vigoureusement la tête. Invitation acceptée, Zedd. Et où iras-tu ensuite ?

— Voir Adie…

— Un peu de repos et de… détente ?

— En partie, oui, admit le sorcier. Après je la conduirai en Aydindril, dans la Forteresse du Sorcier. Des séances de lecture nous attendent…

— Pourquoi amener Adie si loin pour lui faire lire des trucs ? s’étonna Chase.

— Parce que c’est la personne au monde qui en sait le plus long sur le royaume des morts, répondit Zedd avec un regard en coin pour le garde-frontière.

 

Fin du tome 1

La première Leçon du Sorcier -Tome 1
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